Avalanches : vers un changement de culture, entretien avec Forrest Schorderet pour ouvrir le débat
02/2022
02/2022
Dans la culture du freeride, on a tendance à mettre l’accent sur les succès. Mais, à la suite d’un accident d’avalanche, une équipe de freeriders chevronnés a décidé de faire bouger les choses en racontant son histoire sur Instagram et dans un entretien avec notre rédaction. Nous avons rencontré Forrest Schorderet qui nous a expliqué les raisons de cette démarche.
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Florence Gross
Text
Alex Phillips
Sportifs de haut niveau depuis plusieurs années sur les circuits Freeride World Qualifier et Junior, les frères Forrest et Lake Schorderet s’étaient formés et entraînés à la sécurité avalanche avec les plus grands. Mais après un début de saison sec, un matin de mars 2021 sous un soleil radieux, c’est l’envie de skier dans une belle poudreuse qui fut la plus forte. En raison d’une série de décisions malheureuses et d’un manque de chance, Lake fut surpris par une avalanche et se retrouva complètement enseveli. Dans une séquence époustouflante, on voit Forrest parvenir à localiser son jeune frère en deux minutes exactement. Lake est extrait de la neige, trois minutes plus tard, la vie sauve. La force de ce récit ne tient pas uniquement au fait que les deux hommes portaient des caméras pendant toute la durée de l’opération de sauvetage, mais qu’ils ont décidé de partager leur histoire.
« Pendant peut-être une dizaine de secondes, je me suis senti dépassé par les événements, mais je savais que je devais rester positif et concentré. »
La vidéo de cet accident illustre parfaitement la manière dont il convient de réagir en cas d’avalanche. Lorsque vous repensez à cet événement, y a-t-il une opération que vous avez le sentiment d’avoir particulièrement bien réussie au cours de ce sauvetage ?
Je suis très fier que nous ayons été capables de nous organiser si rapidement et de garder notre calme. Nous nous sommes réparti les tâches, de cette manière, chacun savait ce qu’il avait à faire : contacter les services de secours et l’hélicoptère, creuser la neige, etc. Grâce à notre formation et à notre entraînement, nous étions prêts. Ce que je voudrais dire, c’est que l’on ne sait pas à l’avance comment on va réagir lorsqu’un tel événement arrive, surtout quand c’est votre frère qui est sous la neige. Pendant peut-être une dizaine de secondes, je me suis senti dépassé par les événements, mais je savais que je devais rester positif et concentré.
Footage from Ep. 01: One more lap
J’imagine bien ce que vous avez dû ressentir, mais cela ne transparaît pas du tout sur les images. Mais je suppose que c’est la raison pour laquelle c’est si important d’être formé et de s’entraîner ; on agit de manière inconsciente et la mémoire musculaire entre en action lorsque l’adrénaline monte.
Oui, exactement.
« Nous voulons que chacun puisse parler librement de ces sujets, pour éviter que de tels événements se reproduisent. »
Je me dis que cela n’a pas dû être une décision facile de poster les vidéos GoPro et d’expliquer ce qui s’était passé en ligne. Pourquoi avez-vous décidé de rendre publiques ces images ?
Nous voulions partager notre histoire et les images de l’accident pour plusieurs raisons. Ce jour-là , nous avons commis des erreurs et pris de mauvaises décisions. Nous voulons que chacun puisse parler librement de ces sujets, pour éviter que de tels événements se reproduisent.Tout d’abord, nous étions trop impatients et trop confiants. Pour les freeriders que nous sommes, cette attitude est à proscrire parce que des accidents comme celui que nous avons eu ce jour-là peuvent arriver. Nous avons également pris de mauvaises décisions lorsque nous avons atteint le sommet de cette pente. Partir en même temps, c’est quelque chose qu’il ne faut absolument pas faire dans ce type de conditions.
Bien sûr, ces paysages magnifiques sont un terrain de jeu absolument extraordinaire...mais nous devons les respecter. Le freeride reste un sport dangereux.Nous voulions également montrer aux gens qu’il est indispensable d’avoir le matériel adapté lorsque vous faites du hors-piste, que ce soit pour le freeride ou la randonnée. Vous devez aussi savoir l’utiliser et être formé à la sécurité avalanche.
Les accidents sont souvent la conséquence de plusieurs erreurs ou négligences mineures et non d’une faute majeure. Ceci dit, y a-t-il une leçon que vous aimeriez que les gens retiennent de votre expérience ?
L’impatience ne doit pas vous empêcher de réfléchir correctement. Chaque fois que vous sortez, vous devez en discuter avec vos amis afin de déterminer si les conditions sont optimales. Skiez avec des personnes en qui vous avez confiance, qui connaissent bien la montagne et avec lesquelles vous pouvez parler franchement. Si vous estimez que les conditions de sécurité ne sont pas réunies, cela ne doit pas être un problème, vous devez pouvoir en parler ouvertement avec vos amis. Il existe toujours un plan B, vous pouvez aller skier dans un secteur non loin de la zone en question ou peut-être pourrez-vous revenir dans deux semaines, lorsque les conditions seront meilleures... Si vous avez des doutes, le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Skieur moi-même, j’ai constaté qu’il y avait de grandes différences en matière de culture du freeride et de pratiques de sécurité entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Quel est votre avis sur ce point ?
J’ai la chance d’avoir rencontré ma compagne Freya, qui est canadienne et c’est grâce à elle que j’ai pu découvrir des approches différentes de la sécurité. Il me semble que les Nord-Américains sont plus sensibilisés à la sécurité avalanche et qu’ils ont davantage de formation que nous. Ceci étant, je ne comprends pas pourquoi ils ne skient pas systématiquement avec une pelle, une sonde et une balise d’avalanche lorsqu’ils font du freeride dans une station de ski ou dans les environs. Même si les pisteurs ont vérifié le domaine le matin, les conditions évoluent tout au long de la journée. C’est un peu bizarre pour moi, quand je vois des vidéos de freeriders qui ne portent pas de sac à dos. Mais globalement, je pense que la culture là -bas met plus l’accent sur la sécurité avalanche. L’Europe et la Suisse pourraient s’en inspirer, en particulier pour les jeunes skieurs.
C’est intéressant ce que vous dites à propos des images que l’on voit dans les films et sur Internet. Beaucoup de gens ne se rendent probablement pas compte qu’en Amérique du Nord, le personnel des stations de ski vérifie le risque d’avalanche hors-piste, ce qui explique, heureusement ou malheureusement, que les gens skient souvent sans équipement. Y a-t-il quelque chose que vous voudriez changer à l’avenir en ce qui concerne vos pratiques de sécurité ?
Mon frère et moi, nous voulons avoir une meilleure connaissance de notre snow pack. Nous prévoyons pour cela de travailler avec des amis qui sont guides et qui ont fait une formation spécialisée afin de nous perfectionner. Tout d’abord en raison de l’accident, mais aussi simplement parce que nous pensons que c’est important d’avoir une connaissance encore plus approfondie du fonctionnement du snow pack.
« Nous devons vraiment parler de cette culture de la culpabilisation et de la critique des gens qui ont commis des erreurs. »
Ces points sont très intéressants et ouvrent un débat plus large au sein de la communauté. À la suite de cette expérience, comment souhaiteriez-vous voir la communauté du freeride évoluer ?
Nous devons vraiment parler de cette culture de la culpabilisation et de la critique des gens qui ont commis des erreurs. Je pense qu’on devrait être reconnaissant envers ceux qui partagent leurs expériences, car cela nous permet d’apprendre et de réfléchir. Lorsque j’ai posté la vidéo sur ce qui s’était passé sur Instagram, j’ai reçu deux messages de riders professionnels qui me félicitaient. Ils disaient aussi qu’ils avaient eu des accidents de ce type, mais qu’ils n’avaient rien posté et qu’ils n’en avaient pas parlé publiquement. Bien qu’ils ne m’aient pas dit explicitement pourquoi, je suis certain que c’est à cause de cette culture de la culpabilisation, les gens ont peur de s’exprimer car ils craignent les réactions de la communauté.Nous devons faire preuve de transparence et partager des histoires comme celle-là , en particulier pour la jeune génération qui regarde chaque vidéo de freeride qui sort. Il y a des scènes totalement dingues dans ces vidéos et oui, parfois il y a une avalanche, mais tout finit toujours bien, le skieur descend, rien ne s’est passé, tout le monde sourit...je trouve que cela donne une image un peu trompeuse. Nous devons montrer que les avalanches sont des phénomènes dangereux qui peuvent se produire à tout moment et qui concernent tout le monde, indépendamment du niveau d’expérience du skieur. Nous devons faire preuve de transparence, en particulier pour les jeunes.
Snow Safety Workshop - Regarder en ligne ↗
Retrouve la vidéo de Forrest et Lake dans Aspects Ep. 01 ↗